vendredi 24 février 2017

Gorée

Salut! C'est François!

Après avoir traîné un peu dans le lit, j'ai été rejoindre Mattéo, Antoine et Fatou dans la cuisine, pour le plus grand bonheur des enfants! J'ai déjeuné entre deux "François, regarde, j'ai mis mes sandales!" puis j'ai été lire des histoires aux deux petits bonshommes enthousiastes avant que  Mémé ne me rejoigne. Marilyse et Erwan étaient déjà partis plus tôt ce matin-là, la première pour une mission au Cameroun (elle reviendrait quelques jours avant notre départ du Sénégal) et le deuxième pour le travail. 

On avait comme plan aujourd'hui de se rendre à l'île de Gorée, apparemment l'une des plus belles attractions de Dakar. Or, la maison de Marylise et Erwan est située dans le quartiers des Almadies, en banlieue nord de Dakar, alors que Gorée est complètement au sud, près du centre-ville.  Comme on voulait tester le transport en commun local, on a demandé à Fatou comment on pourrait s'y rendre. "Prenez le minibus Tata 3 puis le bus 1 à l'école normale, je vous accompagne à l'arrêt!" Après avoir désamorcé une crise entre Mattéo et Antoine et séché les larmes du premier, on est donc tous partis vers l'arrêt de bus, sous les sourires des gardiens de sécurité. On a dit au revoir aux enfants, Fatou a embrassé Mémé puis on est partis dans le vieux bus pourri!

C'est comment, prendre les transports en commun au Sénégal?  On pourrait résumer l'expérience à "bondé, déglingué et très lent"! Il y a en fait 3 genres de bus publics: des bus de ville normaux (comme on a chez nous), des minibus Tata blancs (des vieux minibus de marque Tata ou des minivans transformées, un peu comme les marshoutkas en ex-URSS) et - de loin les plus folkoriques - les mal-nommés "cars rapides", de vieux machins pétaradants, sans fenêtres, peints de couleurs vives et couverts d'inscriptions religieuses ("Alhamdouliha!") ou plus mystérieuses ("Le retour de Gouba"?). Généralement, il y a une ou plusieurs personnes accrochées à la carlingue en arrière des minibus, dont la porte arrière reste ouverte! Dans toute cette cohue, le caissier est assis dans une cage grillagée et collecte tranquillement l'argent pendant que les gens se contorsionnent dans l'allée pour sortir ou entrer. Ingénieux!

On avait surtout vu les banlieues à date, mais là, dans notre long passage en bus, on a pu s'imprégner un peu plus du tissu urbain de la ville. En quelques mots, Dakar est une ville chaotique, polluée, à l'esthétique assez quelconque et à la circulation infernale! Il y a des gens partout qui traversent la rue n'importe comment, des vendeurs de bric et de broc guettent le passant à tout les coins, des hommes en long boubous blancs en saluent d'autres en souriant, des femmes arborent de magnifiques costumes écarlates (certaines transportent vraiment toutes sortes de choses sur leur tête)!... Il y a des déchets partout, les chèvres et les poulets font de fréquentes apparitions dans les rues, il n'y a aucune forme de signalisation routière, tout tombe en ruine...  Bref, c'est un joyeux désordre auquel les Sénégalais font face avec humour et bonne humeur. Et ils sont ravis d'accueillir les visiteurs étrangers, au nom de leur hospitalité légendaire (la  "teranga")!

Après avoir changé de bus près de l'université, on est finalement arrivés près de la place de l'indépendance, le coeur de la ville. "Bonjour les jeunes mariés!" nous a lancé quelqu'un sur le trottoir! C'était la première fois qu'on nous disait ça, et on ne compte plus les fois où c'est arrivé depuis haha! En passant, au Sénégal, la politesse veut que toute conversation, même anodine (genre commander un plat, demander son chemin, payer un tarif d'entrée...) débute par "Bonjour, ça va bien?" "Ça va bien, et vous?" "Ça va." Et après on peut commencer à discuter des choses sérieuses! Bien sympathique comme tradition! Le problème, c'est que comme on nous salue comme ça 50 fois par jour, c'est parfois difficile de distinguer le bon grain de l'ivraie! Comme ce gars hyper gentil qui nous a accosté près de la place de l'indépendance et qui, après quelques aimables paroles, nous a dit qu'il voulait nous donner sa carte d'affaires... "Mon magasin est à côté!" Mouin, c'était à plusieurs coins de rue disons... ça sentait l'arnaque à plein nez mais on ne savait pas trop comment se tirer de cette situation déplaisante sans l'offenser... Quand il a voulu nous donner en cadeau une breloque, on s'est dits qu'on avait été assez gentils et on a pris congé gentiment mais fermement, sous ses protestations... Ahlalala!

Avec tout ça on avait faim et on s'est arrêtés dans un agréable resto, le Djembé, pour déguster des spécialités sénégalaises: le yassa poulet (du poulet en sauce avec des oignons et du riz) et du thiéboudienne (du poisson avec du riz blanc ou aux tomates). Très bon, mais bien bourrant! À un moment donné la serveuse est arrivée avec une saucière pleine de riz croquant très grillé et un bol de liquide sombre. "Qu'est-ce que c'est?" "Le fond de la casserole et la sauce", qu'elle nous a répondu, comme si c'était une évidence! Ah... et on en censés en faire quoi? Haha!

On a ensuite été sortir de l'argent, non sans s'être fait demander par le gardien de sécurité d'ouvrir notre sac! Ce gars-là doit s'ennuyer ferme! Puis, on a longé la très ordinaire place de l'indépendance, où sont néanmoins concentrés deux jolis bâtiments coloniaux. Pour le reste, par contre, il n'y a pas grand-chose qui attire l'oeil. Sérieusement, le Sénégal est probablement l'un des pays aux infrastructures les plus déglinguées qu'on ait eu l'occasion de visiter. Presqu'ex-aequo avec le Guyana, c'est vous dire!  Dakar est aussi une ville où marcher n'est pas spécialement agréable, sachant que les trottoirs - quand il y en a - sont encombrés de toutes sortes de trucs. On doit donc plus souvent qu'autrement marcher dans la rue, et être en compétition avec les bus, les motos et les taxis (et leurs gaz d'échappement respectifs)!

Après un détour par le supermarché (ici aussi, les gens manquent de monnaie et nous la rendent en bonbons, comme en Ouzbékistan!), on a fini par se rendre au port, une bâtisse un peu louche située près d'une grande artère industrielle peu invitante.  Immédiatement, on a été repéré par un gars très collant qui s'est mis à nous jaser ça et à nous diriger bien malgré nous vers la caisse pour le ferry. Évidemment, il cherchait à nous vendre un truc: en l'occurrence ses services de guide pour l'île de Gorée. Ici, c'est la patience et nos nombreux refus polis qui l'ont finalement encouragé à aller pincer d'autres touristes... Touristes qui ne sont d'ailleurs pas légion à Dakar, et qui sont presqu'exclusivement français! On a voulu se rendre à la salle d'attente pour le bateau vers Gorée, et, naturellement, deux gars ont voulu nous aider. Difficile à dire s'ils travaillaient là ou non, mais bon. "Par ici!" nous ont-ils dit en déplaçant 3 lourdes barrières de métal qui bloquaient l'accès à un couloir. Euh... Vous êtes sûrs? Derrière nous attendait un gars - apparemment un agent de sécurité - qui a lui aussi exigé de voir nos sacs avec tout le sérieux que lui intimait sa fonction. "Pas de couteau?" "Non!" "Pas de bombe?" "Euh... non!" "C'est bon, allez-y!"  Haha!

Après 30 minutes d'attente dans une salle bondée (depuis quand ces gens étaient-ils là, et surtout avaient-ils emprunté le même couloir obstrué que nous?), on a compris que le bateau était arrivé quand la foule s'est soudainement ruée dehors en courant! On a pu avoir une place à l'avant, entre 4 grandes plantes ("non, ce n'est pas de la déco pour le bateau, on les amène à Gorée!") et un autre guide touristique qui nous a lui aussi vendu sa salade, mais de façon tout de même moins intense. Chose curieuse, il portait une casquette de l'Île du Prince Édouard! En tout cas... La traversée a duré 15 minutes dans une bonne houle: on avait pitié des pauvres pêcheurs dans leur frêle pirogue! Et puis, on est arrivés dans un autre monde: l'île de Gorée, ses belles places sablonneuses, ses magnifiques vieilles demeures pastels et son absence de voitures. Disons que le contraste était saisissant entre la folie de Dakar et la tranquillité de Gorée! On a déposé nos affaires dans la superbe petite auberge qu'on avait réservé pour la nuit puis on est partis visiter l'attraction numéro 1 de l'île (et son côté sombre): la maison des esclaves.

Pour la visite, on nous a semi-imposé un guide, mais, compte tenu du peu de panneaux explicatifs, ses explications étaient réellement utiles! Par sa position stratégique, Gorée joua pendant un demi-siècle un rôle important dans la traite des esclaves. En effet, on est ici au point le plus à l'Ouest de l'Afrique, ce qui réduisait d'autant le voyage vers les Amériques. Ainsi, on capturait les esclaves sur le continent, et on les envoyait ensuite à Gorée où ils attendaient le bateau qui les enverrait dans les plantations des Amériques. Gorée étant une île, s'en échapper était complexe, d'autant plus que les eaux environnantes étaient infestées de requins. Au fil des années (Gorée a successivement été portugaise, hollandaise, anglaise et française), on estime que des millions d'esclaves auraient transité par l'île, ce qui en fait un lieu hautement symbolique de cet épisode peu glorieux de l'histoire de l'humanité. La maison des esclaves est une survivante des nombreuses demeures de ce genre qui étaient disséminées sur l'île. Grosso modo, les esclaves étaient entassés dans des cellules minuscules, dans des conditions évidemment horribles, où on les triait selon leur sexe et leur âge. Parmi ces infortunés, seules les jeunes filles avaient un mince espoir de recouvrer leur liberté, si elles acceptaient de coucher avec des marchands blancs et si elles tombaient ensuite enceintes... Ces femmes "libérées" devenaient ensuite des "signare", et occupaient des fonctions importantes dans la traite négrière. Pour les hommes, ceux qui étaient particulièrement robustes pouvaient éventuellement espérer devenir des gardiens d'esclaves, et devaient se montrer cruels pour ne pas subir l'esclavage eux aussi! Bref, un système affreux et déshumanisant. Le pire dans tout ça, c'est qu'alors que ces gens souffraient aux étages inférieurs, les marchands d'esclaves vivaient au-dessus sans problème! En tout cas ce fut une visite bien intéressante quoiqu'à l'atmosphère assez lourde! On est contents d'être Québécois et non Français à ce moment-là, et de savoir que nos ancêtres n'ont pas joué de rôle dans ce commerce repoussant!

On a ensuite déambulé au hasard dans les mignonnes allées de Gorée au soleil couchant. Bien sûr, il y avait plusieurs stands de souvenirs, et on n'a pas manqué de nous inciter à jeter un oeil - parfois de manière très insistante! On a aussi vu beaucoup d'animaux: Gorée est le paradis des chats errants, mais aussi des chèvres et des énormes pélicans qui fouinent sans vergogne chez les gens!  En tout cas c'est vraiment un très bel endroit, très relaxant!

Pour souper, on avait choisi le resto chez Tonton, tout près de la plage, où on a pu se régaler de boulettes de poisson en sauce avec des bananes plantain! Les chats errants accouraient avant que le sympathique serveur ne les chasse. "Celui-là c'est George Bush, lui c'est Donald Trump - le plus mauvais du groupe - et le plus petit, c'est François Hollade!" a égrené le serveur en désignant les chats devant une famille de Français, dans un grand éclat de rire! On vous a dit que les Sénégalais sont charmants?

Après une bonne nuit de sommeil au son du groupe électrogène de  l'île (l'électricité de Gorée est parfois produite par une génératrice, malheureusement située sous notre fenêtre), on a dégusté notre déjeuner dans la superbe cour intérieure de notre auberge. Marie-Pascale a été ravie de pouvoir goûter à toutes sortes de jus typiquement sénégalais: du ditak, du bissap, du jus de corrosol, et du jus de bouye! Puis, on a grimpé sur la petite colline qui surplombe l'île (le "castel"), où on avait de superbes vues sur la mer, le centre-ville de Dakar et le reste de Gorée! Il y avait beaucoup plus de touristes à cette heure-là, et on se réjouissait d'avoir passé la nuit sur l'île pratiquement seuls! Le castel étant aussi le lieu où étaient regroupés les artisans de l'île, on n'a pas manqué de nous inciter à regarder leurs oeuvres. Les peintures étaient réellement jolies, et on a finalement succombé (après avoir évidemment marchandé un peu: tout se négocie ici!) Par contre, on a eu plus de mal à se départir des nombreuses madames qui voulaient vendre des boucles d'oreilles à Mémé! "Vous rentrerez à Dakar à la nage!" nous a lancé, vexée, l'une d'entre elles quand on n'a pas acheté dans sa boutique haha!

En attendant, on a diné d'un sandwich aux merguez (style mitraillette, avec frites dedans, pourquoi pas) puis on a quitté à regrets ce petit havre de paix qu'est Gorée! Sur le bateau, on a parlé avec une Française en vacances avec sa fille dans un genre de club Med au Sénégal. Son voyage en avion depuis Paris (5h normalement) avait plutôt duré 30h: quelqu'un était mort dans l'avion, qui avait dû se poser d'urgence à Lisbonne. Ensuite, l'avion avait continué sa route vers sa destination finale, la Guinée (Dakar n'étant qu'un pit-stop pour ce vol), un pays moyennement recommandable. Sans visas (!), les voyageurs ont été enfermés une journée dans un hôtel de Conacky, ils ont été bloqués par des émeutiers sur leur route vers l'aéroport, certains ont été rackettés par la police... Bref, une histoire d'horreur  invraisemblable !

De retour sur la terre ferme, on a visité un peu le Plateau, le quartier du centre-ville de Dakar. "Visiter" c'est un peu vite dit: il n'y a pas grand-chose qui soit un must dans la ville! On a tout de même vu la vieille gare désaffectée mais bien jolie (un jour, des trains sont censés rouler à nouveau à cet endroit, inch Allah), un marché aux vendeurs bien insistants, le palais présidentiel (où on s'est fait avertir par les gardes parce qu'on buvait de l'eau devant) et la cathédrale.  Cela dit, à Dakar, les principales attractions sont les gens! Au cours de notre balade, j'ai serré la main à un gars baraqué qui nous saluait et celui-ci a ensuite dit mi-sérieux à Mémé: "Tu as choisi ton homme en raison de sa force!" Un autre monsieur a aussi tenté de faire croire à Mémé qu'ils se connaissaient et s'étaient croisés au Québec en 2014 (!?). À Dakar, il y a aussi beaucoup d'enfants qui mendient (on les appelle ici les "enfants talibés", parce qu'ils suivent souvent une instruction coranique gratuite). Comme pour tout le monde qui nous sollicite en insistant, la solution qu'on a trouvé ici est d'être super gentils avec eux, de leur demander s'ils ont passé une bonne journée... et éventuellement, ils finissent par se lasser et nous laisser tranquille! Plus généralement, les Sénégalais sont super avenants et très chaleureux!

On avait rendez-vous à 17h au Bureau du Québec à Dakar, où on rejoignait Mathieu pour une soirée avec des collègues du Ministère des Relations internationales et de la Francophonie qui travaillent maintenant à Dakar. On nous a fait visiter: c'est très spacieux, avec de superbes vues sur la mer et le centre-ville! Les locaux sont situés face à l'assemblée nationale, dans l'un des seuls immeubles modernes de Dakar. Ça a plus de gueule que l'ambassade du Canada, située dans une vieille bâtisse un peu plus loin! :)

Avec Mathieu et Lydia, qu'on avait vu deux jours plus tôt avec Erwan et Marilyse, on est allés prendre un verre sur la terrasse d'un hôtel du coin. On avait une vue superbe sur la mer et les Îles de la Madeleine, dans le soleil couchant... Oui, il y a une version sénégalaise inhabitée du célèbre archipel québécois! Une collègue de Lydia et son copain se sont joints à nous, suivi de Siasia, un collègue du ministère, et de sa blonde. Siasia est posté à Dakar depuis quelques mois et c'était très plaisant de le revoir! Disons qu'avec mon affectation prochaine à Shanghai, j'étais content de jaser avec lui de ses impressions à titre d'expatrié! Quand le soleil s'est couché et que le mercure est tombé, on a quitté la terrasse pour un excellent resto libanais de Dakar (avec les Français, les Libanais forment le 2e plus grand contingent de résidents étrangers au Sénégal, va savoir pourquoi). C'était un peu cher mais diablement bon, et ça a été un bien agréable souper!

Siasia nous a ramené en auto vers la maison de Marilyse et Erwan, sachant qu'il habite désormais dans le même quartier qu'eux (les Almadies). En chemin, il nous a fait une visite des quartiers populaires by night: le chaos est tout aussi palpable à 23h qu'à midi! Selon Siasia, conduire ici est un exercice hyperstimulant, où il faut constamment tenir compte du "facteur X": l'imprévu qui arrive sans crier gare! Ça peut prendre la forme d'un enfant, d'un vieux bus qui arrête subitement, d'une chèvre qui décide de traverser la rue, d'un pneu qui éclate... Bref, c'est du sport!

De retour chez Erwan et Marilyse, on s'est rendus compte qu'on n'avait pas la clé, mais heureusement le sympathique gardien de sécurité (il s'appelle François, c'est pas surprenant) nous a reconnu. On a jasé un peu avec Erwan avant d'aller dormir en vue de notre visite du lendemain: le lac Rose!

À bientôt!

3 commentaires:

  1. Toutes les facettes de l'humain...même la sorcière et son mauvais sort. Diablement bon, haha! K

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  2. On aurait quand même aimé être invités au mariage!

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  3. Si vous voyez un jeune matou enjôleur, appelez-le Justin!

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